Homélie SAINTE CENE DU SEIGNEUR 2021

JEUDI 1er AVRIL 2021.

SAINTE CÈNE DU SEIGNEUR.

Chers frères et sœurs en Christ,

Avec la célébration du dimanche dernier, le dimanche des rameaux et de la Passion du Seigneur, nous avons commencé la semaine sainte. Cette semaine constitue l’ultime étape du temps de carême. Elle est la semaine où, à travers les différentes célébrations proposées par la liturgie, les chrétiens font mémoire du Mystère central de la foi et de la vie de l’Église : le Christ mort et ressuscité pour le salut du monde.

Cette semaine est sainte parce qu’elle nous donne l’occasion de commémorer solennellement, de vivre profondément le mystère de notre sanctification. En célébrant ce soir, la Cène du Seigneur, nous commençons le triduum pascal où Dieu nous fait passer de la servitude à la liberté, de la déchéance à la dignité, de la mort à la vie et à la vie éternelle. Puissent les célébrations de ce triduum pascal être pleines de grâces et de bénédictions pour chacune de vos familles. Qu’elles vous fortifient dans votre cheminement à la suite du Christ et transforment votre Église paroissiale en une communauté plus responsable, structurée et harmonieuse.

En vous saluant, je remercie et félicite les prêtres en service sur cette paroisse pour le ministère qu’ils exercent au milieu de vous. Pour tout prêtre, le Jeudi Saint est aussi vénérable, voire plus sacré que le jour de son ordination. En ce jour, nous faisons mémoire de l’institution du ministère sacerdotal et je vous invite, chers fidèles du Christ à prier pour tous les prêtres. Il peut nous arriver d’avoir des raisons de les critiquer, mais n’oublions pas qu’il nous est toujours offert la grâce de les soutenir et de prier pour eux. Chers pères José KAKPO et Charlemagne BONOU, je vous souhaite une bonne fête du sacerdoce. Que le Christ, prêtre par excellence, vous fortifie. Qu’Il agisse dans toutes vos œuvres et vous fasse porter des fruits qui demeurent.

Chers frères et sœurs, en ce jour, nous ne célébrons pas seulement l’institution du sacrement de l’ordre. Nous célébrons aussi l’institution de l’Eucharistie. Ces deux sacrements (le sacrement de l’ordre et le sacrement de l’Eucharistie) sont intimement liés parce qu’ils dévoilent à nos yeux l’amour infini de Dieu pour l’humanité. Ils manifestent la présence réelle du Christ au milieu du monde. Le saint curé d’Ars avait coutume de présenter le sacerdoce en ces termes : « le sacerdoce, c’est l’amour du cœur de Dieu ». On peut le dire de l’Eucharistie aussi. L’Eucharistie, c’est l’amour du cœur de Dieu.

La première lecture de ce jour nous présente le repas pascal juif comme la préfiguration du sacrement du Corps et du Sang du Christ dont nous célébrons l’institution aujourd’hui. La Pâque juive était loin d’être un repas ordinaire ou banalisé. Elle était déjà un repas rituel précisément codifié. La page du livre de l’Exode dont la méditation nous est proposée vient de nous décrire comment l’agneau pascal était précieusement choisi, le jour de son immolation a été défini et les conditions dans lesquelles il fallait le prendre ont été indiquées. Les dernières phrases du texte concluent qu’il s’agit d’un mémorial, d’une fête instituée par un décret divin et perpétuel à célébrer d’âge en âge.

Ce repas pascal était porteur de grâces et de bénédictions pour le peuple juif qui le célébrait. La communion fraternelle en constitue le premier fruit. La Pâque juive devait en effet réunir les membres d’une même maisonnée et pouvait établir des ponts avec les maisons environnantes : « Si la maisonnée est trop peu nombreuse pour un agneau, elle le prendra avec son voisin le plus proche, selon le nombre des personnes ». L’immolation de l’agneau ainsi que son sang marquant les deux montants et le linteau des maisons ont respectivement été pour les fils et filles d’Israël gage de la libération de la servitude d’Égypte et signe de salut pour qu’ils soient épargnés de la mort par l’ange exterminateur.

C’est au cœur même du contexte de la célébration de la Pâque juive que Jésus réunit ses disciples au Cénacle pour offrir le pain et le vin comme Melkisédek. Mais mieux que Melkisédek, Il s’offre Lui-même, de manière non sanglante, pour que sa vie donnée nous libère du péché et de la mort et nous engage dans l’alliance nouvelle avec Dieu. Jésus dit en effet : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang ».

En accueillant ce texte paulinien qui constitue la description la plus ancienne de la sainte Cène, il nous est nécessaire de faire un profond examen de conscience sur la manière dont nous accueillons ce sacrement aujourd’hui. Nous pouvons personnellement et communautairement nous interroger en ces termes : sommes-nous vraiment entrer dans la nouvelle Alliance que Dieu nous propose ? Quand nous communions ou que nous participons à l’Eucharistie, croyons-nous fermement qu’il s’agit réellement du Corps et du Sang du Christ ? Jésus ne dit pas ceci est comme mon corps, ceci est un symbole ou un signe de mon corps. Il dit en effet : « Ceci est mon corps livré pour vous. Ceci est mon sang versé pour vous ». En mettant toute notre foi en la présence réelle de Jésus dans l’Eucharistie est-ce que nous constatons que le Corps et le Sang du Christ sont livrés pour nous ?

Dans l’ancienne alliance, si le sang d’un agneau a pu être accueilli par Dieu comme gage de liberté et signe de salut pour les Juifs, combien plus le sang du Fils de Dieu ne sera-t-il pas accueilli aujourd’hui pour libérer l’humanité entière du péché et de la mort et nous donner la Vie éternelle ! Jésus nous donne son Corps et son Sang pour nous transformer et nous introduire dans la nouvelle Alliance avec son Père.

Les effets de l’Eucharistie sont infinis dans chacune de nos vies. Il s’agit de transformations réelles, voire palpables et même si nous ne les voyons pas avec nos yeux de chair, elles sont manifestes. Ces effets ne sont pas que personnels, ils construisent toute la communauté chrétienne car l’« Église vit de l’Eucharistie »[1]. Permettez-moi d’en citer quelques-uns pour nous replonger dans la grâce qui nous est offerte. L’Eucharistie provoque en nous :

  • l’accroissement de la grâce baptismale
  • la maturation de la vie chrétienne[2],
  • la purification,
  • l’éloignement du péché[3],
  • la transformation de l’homme par le Christ,
  • l’union au Christ,
  • l’union à tous les chrétiens…
  • et la vie éternelle.

Je voudrais pour ma part, insister ce soir sur deux effets de l’Eucharistie : l’union au Christ et l’union à tous les chrétiens.

Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, dès sa première communion, a bien compris l’union au Christ, c’est-à-dire l’union entre sa personne et la Personne du Christ. Voici en quels termes, elle la décrit : « Depuis longtemps, Jésus et la pauvre petite Thérèse s’étaient regardés et s’étaient compris. Ce jour-là, ce n’était plus un regard, mais une fusion, ils n’étaient plus deux, Thérèse avait disparu, comme la goutte d’eau qui se perd au sein de l’océan. Jésus restait seul, Il était le maître, le Roi »[4] Cette fille de onze ans[5] a pu parler de fusion entre sa personne et la personne du Christ à la communion.

Chers frères et sœurs, quelle grâce ! Quelle joie à chaque communion ! L’amour du Christ est si grand qu’Il ne Lui suffit plus d’être l’Emmanuel Dieu-avec-nous. Son amour est si fort qu’Il se fait nourriture pour demeurer en nous et étancher notre soif de demeurer en Dieu.

En nous donnant son Corps et son Sang, Il s’unit intimement à nous pour vivre le stress et les angoisses auxquels la jeunesse estudiantine de Calavi est soumise à l’université ou dans les écoles supérieures. Il s’unit intimement à nous pour vivre les épreuves d’une mère de famille qui éduque ses enfants avec ses maigres moyens. Il s’unit à nous pour partager la vie du fonctionnaire ou du commerçant en période de coronavirus. Quelle grâce ! Mais aussi quelle responsabilité !

Il est juste qu’en ce jour, nous nous demandions dans quel état de pureté du cœur nous venons communier ordinairement ? Saint Jean Chrysostome nous encourage à communier en état de grâces en nous confessant régulièrement, quand il dit : « Si vous approchez de lui avec un cœur pur, il sera pour vous un principe de grâce et de salut ». Autant le Corps du Christ reçu à chaque célébration nous élève en réalisant en nous l’union au Christ, autant Il nous appelle à nous unir à tous les hommes en les servant comme le Christ qui lave les pieds de ses disciples. Et c’est là le deuxième effet de l’Eucharistie sur lequel je voudrais insister.

L’évangile de ce jour le traduit si bien : l’Eucharistie nous appelle aussi à nous mettre au service de l’humanité entière. Dans ce texte, saint Jean décrit la résistance de Simon Pierre et nous pouvons nous demander pourquoi le disciple tente de refuser que son Maître lui lave les pieds. C’est précisément parce que dans la société juive, le lavement des pieds est une besogne confiée aux esclaves à l’entrée des maisons où les grands dîners sont offerts. Simon Pierre était en effet hors de lui-même en voyant Jésus, le Fils de Dieu, laver les pieds de ses disciples et s’abaisser devant eux. Il constatait avec effroi comment Jésus se mettait au service de l’humanité entière comme un esclave.

Jésus a posé ce geste, non pour que ses disciples éprouvent une fierté égoïste, non pour que nous puissions en parler aujourd’hui, mais pour que nous puissions l’imiter. Il nous donne l’exemple à suivre. En disant : « Si moi le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds, les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi comme j’ai fait pour vous », Jésus envoie un message que nos cœurs méritent d’accueillir comme un appel auquel il faut répondre absolument.

Pendant mes récentes visites pastorales, en appréciant l’état d’avancement des Communautés Ecclésiales de Base, j’ai constaté combien l’individualisme, la mauvaise habitude de vivre une vie chrétienne solitaire, séparée des autres sans le souci de développer l’amitié fraternelle que nous demande le Christ reste encore ancré. Mais je garde l’espérance que le Christ transformera ces résistances puisqu’Il se donne à nous dans l’Eucharistie et nous apprend à nous donner aux autres en nous lavant mutuellement les pieds.

Le geste que pose Jésus dans l’évangile est le modèle que nous devons appliquer en famille et en société pour construire la paix. Il est l’exemple à suivre dans nos communautés chrétiennes pour qu’elles soient plus responsables, structurées et harmonieuses. Que le Seigneur nous donne la grâce d’identifier le prochain vers qui Il nous envoie ce soir pour lui laver les pieds, Lui qui vit et règne maintenant et pour les siècles des siècles, Amen.

[1] Jean Paul II, Ecclesia de Eucharistia vivit.

[2] Sans l’Eucharistie, la vie d’enfant de Dieu reçue au baptême s’affaiblit et tend vers son extinction.

[3] C’est dire que l’Eucharistie est le pain qui nous délivre du mal.

[4] Manuscrit A, 35e r.

[5] Née le 2 janvier 1873, elle a pris la première communion le 8 mai 1884.