Mardi 24 décembre 2019

Veillée de Noël à la prison civile de Cotonou

Chers frères et sœurs dans le Christ,

Avant tout propos, je souhaite à chacun de vous un Joyeux Noël ! Que le Sauveur vous apporte la vraie joie qui vient de Dieu lui-même : c’est cette joie que je souhaite à chacun de vous, à vos familles respectives ainsi qu’à tout le pays.

Je salue avec respect les autorités de cette prison : le régisseur, le chef brigade et leurs collaborateurs ainsi que tous les membres de l’administration pénitentiaire à divers niveaux. Je saisis cette occasion pour vous dire ma reconnaissance pour les bons rapports que vous entretenez avec l’équipe de l’aumônerie catholique. Vous avez la délicate mission non seulement de surveiller, mais surtout de veiller sur les détenus, les servir, les assister dans cette étape délicate de leur vie. Le Christ s’est identifié aux prisonniers : je vous encourage donc à voir dans chaque détenu que vous servez, le Christ venu nous sauver. Que lui-même vous comble des grâces nécessaires à votre mission.

Je me tourne à présent vers vous, mes chers frères et sœurs détenus. Il y a un an, j’étais avec vous pour fêter le 1er janvier. Et me voici de nouveau au milieu de vous ce soir pour fêter Noël. Je suis venu fêter avec vous, pour vous montrer quelle place vous occupez dans mon cœur d’évêque. Le Christ n’a pas hésité à s’identifier aux prisonniers. Alors, que vous soyez innocents ou coupables des faits qui vous sont reprochés, vivez votre séjour ici comme l’occasion d’une remise en cause, d’une descente honnête au fond de vous-mêmes, pour une nouvelle rencontre avec le Christ : laissez-vous toucher par le Christ, afin de sortir d’ici véritablement transformés par Lui qui est né dans notre monde pour libérer l’homme. En ce sens, célébrer la Nativité dans une prison, c’est mettre vivement en lumière la libération que le Sauveur est venu apporter au monde.

Déjà dans la première lecture, Isaïe proclame la venue de la lumière qui vient libérer un peuple qui a longtemps marché dans les ténèbres. Saint Paul pour sa part, nous enseigne dans la deuxième lecture que la grâce de Dieu s’est manifestée pour libérer l’homme de l’impiété et des convoitises de ce monde. Quant à l’évangile, il proclame la paix de Dieu pour toute la terre, paix qui signifie salut, libération.

Célébrer donc Noël, c’est célébrer notre libération, notre salut. Mais en quoi ce salut consiste-t-il concrètement ? Que nous disent les textes de ce jour ? Trois paroles expriment admirablement le mystère de Noël que nous célébrons.

Le premier thème, c’est celui de la joie. Cette joie est le fruit de la venue du Seigneur. Lorsqu’on attend une personne qui finit par arriver, cela suscite une grande joie. Or, c’est depuis de nombreux siècles que le peuple d’Israël attendait la venue du Messie. Toute l’espérance d’Israël reposait sur cette venue du Messie de Dieu.

L’Église voit dans l’enfant dont Isaïe annonce la naissance, une préfiguration du Messie attendu. Car la naissance de cet enfant sonne le glas de l’oppression qui pesait sur le peuple. Et le prophète décrit cette joie avec enthousiasme en disant : « tu as prodigué la joie, tu as fait grandir l’allégresse : ils se réjouissent devant toi, comme on se réjouit de la moisson, comme on exulte au partage du butin ».

La même joie éclate dans l’évangile à la naissance du Christ, véritable Messie. L’ange dit aux bergers : « je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : aujourd’hui, dans la ville de David vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur ». Et, après cette annonce, une foule d’anges louait Dieu en chantant : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime ! » Dans le mystère de Noël, le ciel et la terre s’unissent dans une même joie : Dieu qui vient demeurer avec son peuple.

M’adressant à vous chers détenus, je voudrais vous souhaiter cette joie intérieure, qui est en réalité la vraie joie. Notre vie, aussi rude soit-elle, n’est jamais vide de motifs de joie. Vous vivez aujourd’hui dans des conditions qui humainement parlant, ne favorisent peut-être pas la joie ; mais je vous encourage à trouver dans la naissance du Sauveur, le lieu de la joie authentique. Car le Fils de Dieu est venu pour nous faire vivre en intimité profonde avec Dieu ; et c’est cette relation d’intimité qui est justement le lieu de la vraie joie. Sans cette intimité avec le Christ, l’homme vit à la superficie de sa propre vie, il devient spectateur de sa propre vie : comme dit le pape François, « il regarde sa propre vie depuis le balcon ».

Mais vous, mes chers amis, saisissez l’occasion de cette fête pour laisser le Christ naître à nouveau dans vos cœurs et vous apporter la vraie joie. Votre retrait du monde peut ainsi devenir une retraite où vous découvrirez la vraie joie, celle du Christ. Que lui-même vous donne cette joie pour toujours !

Le deuxième thème, c’est celui de la paix. Il est vrai que l’attente d’une personne est normalement source de joie. Mais cette attente est aussi source d’angoisse, surtout quand on a des comptes à rendre.

En ce sens, depuis la désobéissance d’Adam et d’Eve, l’homme avait toutes les bonnes raisons de craindre la venue de Dieu. Dieu viendrait, croyait-on, pour corriger, redresser, punir et venger. Mais contre toute attente, il vient apporter la paix. Isaïe affirme : « la paix sera sans fin ». De même, c’est la même paix que les anges annoncent aux bergers en les rassurant : « n’ayez pas peur… », avant de chanter : « Gloire à Dieu dans le ciel, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime !» Jésus lui-même après sa résurrection, loin d’accuser ses apôtres qui l’avaient pourtant abandonné, leur dit plutôt : « la paix soit avec vous ! »

Oui, en naissant sous le signe de la paix, comme Prince-de-la-paix, le Christ met fin à la peur de l’homme vis-à-vis de Dieu. En effet, l’homme craignait la venue d’un Messie terrifiant et justicier. Mais Dieu vient comme un petit enfant qui n’a que la chaleur de son sourire et son amour innocent, afin que personne n’ait peur de l’approcher. Remarquez par ailleurs que les premiers à qui cette nouvelle est annoncée, ce sont les bergers, ceux-là qui franchement n’étaient pas les gens les plus illustres, encore moins les plus vertueux. Habitués à briser le repos du sabbat en raison de leur métier, ils étaient aussi spécialistes des petits vols et des petits forfaits, ce qui faisait d’eux des gens suspects et peu recommandables. Et c’est pourtant à eux que Dieu adresse la première annonce de la naissance de son Fils.

Chers amis détenus, mes chers fils et filles, cela signifie concrètement pour vous qu’aucun être humain n’est méprisable aux yeux de Dieu. Vous êtes sans doute habitués à affronter avec douleur le regard suspect de la société. Cependant, soyez réconfortés en sachant que, quoi qu’on vous reproche et quoi que votre propre conscience puisse vous reprocher, Jésus est né pour vous conduire à faire la paix avec Dieu, la paix avec la société, la paix avec votre conscience, la paix avec vous-même. Mon souhait le plus ardent, c’est que vous puissiez véritablement rencontrer le Seigneur à l’intérieur de vous-même, par un chemin de conversion qui part de l’extérieur pour rejoindre l’intérieur de votre cœur où Dieu vous attend. Que lui-même vous accorde cette grâce de la paix véritable.

Enfin, le troisième et dernier thème, c’est la grâce. Saint Paul le dit avec clarté dans la deuxième lecture : « la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes ». Si vous me permettez de faire une comparaison, je dirai que vous savez mieux que moi ce que signifie par exemple une grâce présidentielle, et quels effets elle produit. La grâce de Dieu va plus loin : c’est elle qui agit pour notre salut, qui intervient pour notre libération. Cette grâce est joie, paix et amour de Dieu. Et c’est Jésus qui nous apporte cette grâce. Saint Jean le dit dans l’évangile que nous écouterons demain matin : « la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ ! »

C’est dire que la naissance du Christ nous fait passer désormais sous le régime de la grâce. Ce n’est nullement par nos propres forces, ni par nos supposés mérites que nous pouvons accéder au salut, c’est par pure grâce. Et c’est là l’une des spécificités majeures de la foi chrétienne exprimée dans le mystère de Noël. Le Dieu de Jésus-Christ, c’est lui qui descend vers l’homme, pour le prendre avec Lui. Dès lors, c’est en nous abandonnant totalement à sa grâce, dans une attitude d’humilité, que nous pouvons avoir le salut. C’est cette grâce que je vous souhaite et que je viens vous communiquer encore aujourd’hui de la part du Seigneur.

Aussi voudrais-je vous encourager vivement à vous tourner vers Marie, mère du Christ, Notre-Dame de toutes grâces. Invoquez souvent Notre-Dame de toutes grâces ! Sous sa conduite et en sa compagnie, confiez-vous à la grâce, vivez sous l’action de la grâce, non pas comme un don inerte déposé en vous, mais comme une relation personnelle active avec Dieu. De cette manière, cette prison deviendra pour vous le lieu d’une reformation profonde, une véritable propédeutique qui vous prépare à devenir des hommes et femmes transformés, capables à leur tour d’aider ceux qui sont dehors et qui ont peut-être davantage besoin de conversion, à faire eux aussi leur chemin avec la grâce.

Pour ma part je vous confie tous à l’intercession de Marie Notre-Dame de toutes grâces. Qu’elle vous assiste, vous réconforte, vous guide et vous protège. Qu’à sa prière, le Seigneur accélère le moment de votre libération, afin que vous repartiez transfigurés pour annoncer par toute votre vie, le Sauveur qui est né et qui appelle tous les hommes au salut, Lui à qui soient l’honneur et la gloire, maintenant et pour les siècles des siècles. Amen.

+ Roger HOUNGBEDJI, o.p