JEUDI DE LA SEMAINE SAINTE : MESSE DE LA CENE DU SEIGNEUR
9 avril 2020
JEUDI DE LA SEMAINE SAINTE : MESSE DE LA CÈNE DU SEIGNEUR
Chers frères et sœurs dans le Christ,
Nous célébrons ce soir la Très Sainte Cène du Seigneur qui nous rappelle l’institution de l’Eucharistie et du sacerdoce ministériel. L’Eucharistie étant « source et sommet de toute la vie chrétienne » (les autres sacrements ainsi que tous les ministères ecclésiaux et les tâches apostoliques étant liés à elle), la fête de ce jour est celle de toute l’Église universelle. Mais, de façon particulière, elle est la fête des prêtres qui ont reçu mandat d’exercer le ministère sacerdotal au sein de l’Église.
C’est pourquoi tout en souhaitant bonne fête à toute la communauté chrétienne qui communie avec nous en ce moment à travers les moyens de télécommunication, je me permets de présenter aussi mes vœux les meilleurs à tous les prêtres. Puisse le Seigneur leur accorder en abondance la grâce de communier plus intensément à Lui, de sorte qu’ils soient des témoins plus hardis et crédibles de sa présence dans le monde.
A travers la commémoration de la Sainte Cène, qu’est-ce que l’Église veut nous rappeler ? Elle veut nous rappeler le sens profond du geste posé par Jésus en organisant un repas la veille de sa passion. Le sens de ce geste réside dans l’observation faite par Jean au début de la page d’évangile que nous venons d’entendre : « Jésus ayant aimé les siens qui étaient dans le monde les aima jusqu’au bout ». On pourrait dire que c’est dans le but de révéler le sens profond de l’amour miséricordieux de Dieu pour l’humanité que Jésus organisa ce repas. A travers le repas eucharistique, il veut donc manifester au monde le vrai sens de l’amour de Dieu pour l’humanité, un amour exprimé en ces termes : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas mais ait la vie éternelle » (Jn 3, 16).
C’est dans cet amour que les disciples sont appelés à s’enraciner, de façon à pouvoir s’en imprégner et l’annoncer au monde. On comprend alors l’invitation pressante de Jésus à leur endroit à la suite du geste du lavement des pieds : « Je vous donne un commandement nouveau : vous aimer les uns les autres ; comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. A ceci tous reconnaitront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn 13, 34-35). En quoi consiste cet amour dont Jésus s’est donné pour mission de révéler au monde la veille de sa passion ? Cet amour consiste en trois choses fondamentales.
La première chose est la lutte contre le mal ou plus exactement la lutte contre le péché qui conduit l’homme à l’esclavage, voire à la mort. Le but principal de la Pâque juive, dont il est question dans la première lecture, et dans laquelle s’inscrit le dernier le dernier repas organisé par Jésus est en effet le combat contre le mal. Ce mal se présente comme ce qui s’interpose et s’oppose au plan de salut de Dieu : la libération du peuple d’Israël de la servitude. Le pays d’Égypte et son chef, le Pharaon, sont principalement l’incarnation de ce mal.
De fait, à travers les instructions données par Dieu à Moïse dans l’organisation du repas pascal, ce qui est visé est principalement la libération du peuple d’Israël des mains de Pharaon, considéré comme la cause principale de la situation de détresse et d’esclavage où se trouvait le peuple d’Israël. C’est donc un mal à faire disparaître pour que le peuple accède à sa libération. Tout le repas pascal est organisé dans le but de protéger la vie du peuple contre les assauts de l’ange exterminateur : la vue du sang de l’agneau sur les montants et le linteau des maisons occupées par les fils d’Israël suffit pour les préserver de la mort.
C’est dire que l’amour préférentiel de Dieu envers son peuple l’amène à s’engager personnellement en sa faveur et à le protéger de tout mal. Célébrer la Pâques, c’est donc une manière de faire mémoire de la manifestation de l’amour de Dieu pour son peuple. En aimant les siens jusqu’au bout, Jésus veut s’inscrire dans la même dynamique de l’amour : l’amour qu’il manifeste à leur endroit vise principalement à combattre tout mal qui pourrait mettre en péril la vie des siens.
Dans la même ligne, pour nous chrétiens, disciples du Christ, nous ne saurions être fidèles à notre vocation chrétienne si nous ne sommes animés de l’amour qui nous porte à nous engager pour les autres en vue de l’anéantissement du mal qui met en péril leur vie. La pandémie du COVID-19 est le mal le plus pernicieux de notre temps dont il nous faut à tout prix nous débarrasser en veillant d’abord et avant tout à la santé des autres. Ne pas suivre les mesures de restriction et de prévention exigées par nos États, c’est prêter le flanc au mal, voire manquer de charité envers les autres.
La deuxième chose qui caractérise l’amour révélé par Jésus à travers la sainte Cène est le don total de soi : c’est un amour oblatif qui va jusqu’au don total de sa vie aux autres. Le caractère oblatif de cet amour se révèle dans le don du corps et du sang de Jésus sous les signes du pain et du vin partagés. De même que le pain est rompu et que le vin est partagé, de même Jésus livre son corps et verse son sang pour les hommes. En d’autres termes, c’est Jésus lui-même, l’Agneau véritable qui se donne et se livre en sacrifice. Ce faisant, il montre qu’aimer les siens jusqu’au bout, c’est les aimer jusqu’à l’extrême, c’est-à-dire jusqu’à livrer son corps et verser son sang en sacrifice pour eux.
C’est dire jusqu’où va l’amour chrétien : il va jusqu’au sacrifice de sa vie pour les autres. N’est-ce pas là l’invitation forte que Dieu semble nous lancer à travers la crise actuelle que traverse notre monde ? Notre monde présent semble être dominé par le règne des intérêts personnels et matériels, des intérêts qui nous poussent à tout recentrer sur nous-mêmes, par la recherche pure et simple de l’argent, dans une attitude d’égocentrisme, au point d’évacuer Dieu et la crainte de Dieu de notre vie. Le drame du COVID-19 nous aura appris que c’est en acceptant de nous décentrer de nous-mêmes dans un esprit de solidarité marqué par l’amour oblatif que nous pourrons œuvrer pour le salut du monde et de notre société. Puisse l’amour oblatif du Christ s’incarner en nous et nous amener à nous investir corps et âme, les uns vis-à-vis des autres, dans un esprit de sacrifice.
Le dernier point qui caractérise l’amour du Christ est le service tel que Jésus nous en donne l’exemple à travers le lavement des pieds de ses disciples. Il s’agit là d’un geste très fort dont Jésus relève lui-même les motivations profondes : « Si moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous ».
Faire comme Jésus en lavant les pieds les uns des des autres, c’est accepter d’occuper la dernière place, celle de l’esclave, en s’abaissant devant les autres (notamment les tout petits de nos sociétés) pour les servir. C’est dire que dans nos relations interpersonnelles au sein des communautés que nous formons, ce qui prime, c’est l’attention à l’autre, le bien commun à préserver et à sauvegarder à tout prix. Ce souci des autres et du bien commun exige de nous humilité, détachement, abnégation. Saurons-nous être toujours animés de cet esprit de détachement afin de bâtir un monde plus humain, un monde juste et prospère où le seul mot d’ordre qui vaille est le travail bien fait, dans un esprit de service?
Demandons au Christ la grâce d’être animés de son amour de façon à pouvoir nous décentrer de nous-mêmes (de nos égoïsmes) pour nous livrer corps et âme dans la recherche de la paix, de l’unité et de tout ce qui peut aider notre humanité à reconstruire sa cohésion autour du Christ. Qu’il nous accorde cette grâce, Lui qui vit et règne maintenant et pour les siècles des siècles. Amen !