MESSAGE DE MGR ROGER HOUNGBEDJI, O.P., sur la pandémie du coronavirus

MESSAGE DE MGR ROGER HOUNGBÉDJI, O.P., ARCHEVÊQUE DE COTONOU

A tous les fidèles catholiques et aux hommes de bonne volonté de l’archidiocèse de Cotonou

Chers frères et sœurs,

Fils et filles bien-aimés du Seigneur,

A chacun de vous, grâce et paix de la part du Seigneur ressuscité !

En ces temps difficiles marqués par la pandémie du coronavirus, chacun de vous est présent en mon cœur comme en celui des prêtres, et surtout à l’Eucharistie que nous célébrons quotidiennement pour vous, à vos intentions et pour l’humanité. Depuis plusieurs mois en effet, le monde entier est secoué, et de manière surprenante, par cette pandémie qui ralentit et perturbe considérablement nos activités. Je sais votre impatience et je comprends votre légitime indignation. J’éprouve donc le besoin pressant de vous rejoindre, chacun personnellement, par le biais de ce message, pour vous réconforter et vous encourager.

Quand la communauté chrétienne, en ses débuts, était menacée et persécutée, quand en particulier les apôtres furent jugés et forcés au silence, Pierre prit la parole et répliqua devant le sanhédrin : « Nous ne pouvons ne pas parler » (Actes 4,20). Oui, mes chers amis ! C’est notre foi chrétienne qui nous l’exige : « Nous ne pouvons ne pas parler. »

« Nous ne pouvons ne pas parler » au Seigneur, de vous et de la situation exceptionnelle que nous vivons. C’est pourquoi vos prêtres et moi-même, offrons chaque jour le Saint Sacrifice Eucharistique pour vous et à vos intentions. Sur nos morts et toutes les victimes de cette pandémie, j’implore la Miséricorde du Seigneur. A tous les malades et au personnel soignant, j’exprime ma compassion et ma proximité dans le Seigneur, Médecin des âmes et des corps. Aux gouvernants et à ceux qui les assistent, je renouvelle ma communion spirituelle afin que seule la Sagesse et la crainte de Dieu les orientent dans leurs choix et décisions que nous savons délicates et difficiles.

« Nous ne pouvons ne pas parler. » Dans le même sillage que mes pairs, les évêques de la Conférence épiscopale du Bénin, je vous exhorte tous à la patience et au calme. Car je sais que votre douleur est fortement aggravée par l’impossibilité physique de communion eucharistique et de communion ecclésiale. Le Corps du Christ vous manque. Certains parmi vous, par divers canaux et en différentes initiatives, l’ont vivement signifié. Je les remercie pour cette expression et ce témoignage de leur foi. D’autres sont réellement mécontents et indignés de voir nos Églises maintenues fermées comme de simples lieux de rassemblement, au même titre que les bars et lieux de loisir, alors que marchés, supermarchés et autres lieux continuent de rassembler du monde. Me parviennent aussi diverses interrogations et réflexions, exprimées ici ou ailleurs dans le monde, sur l’efficience de nos choix, nos échelles de valeurs, nos ordres de priorité, la définition même de ce qui est essentiel pour l’homme, la pertinence de l’adoption ou de l’extension de certaines mesures restrictives, la nécessaire distinction entre le pouvoir temporel et le pouvoir religieux. Et pourtant, nous l’avons appris et nous le savons : « Si le Seigneur ne bâtit la maison, c’est en vain que travaillent les bâtisseurs » (Psaume 126, 1). Oui, « la créature sans le Créateur s’évanouit. Et l’oubli de Dieu rend opaque la Créature elle-même » (Concile Vatican II, Gaudium et Spes, n°36)

Je partage donc vos impatiences, je comprends votre indignation. Car, à un moment où la pandémie qui sévit actuellement dans notre monde devrait conduire à une prise de conscience de notre vulnérabilité et à un nécessaire recentrage de notre vie sur l’essentiel qu’est Dieu, il est écœurant, voire outrageant d’entendre des propos visant à reléguer le « fait religieux » dans le domaine du privé ou des choses « non-essentielles ». Pour l’Africain, « un être foncièrement religieux », il est indéniable que la religion est vitale et relève à la fois de l’ordre du privé et du public. La foi en Dieu et son expression publique lui sont intimement liées.

La religion constitue pour nous Africains une dimension essentielle du vivre-ensemble : elle donne du sens à la vie en permettant de répondre aux questions fondamentales. Elle ne peut donc être réduite à la dimension privée, du moins la foi chrétienne depuis ses origines comme nous l’écoutons bien avec les textes de ce temps de Pâques. Les colonnes de notre foi, les saints martyrs et confesseurs l’ont exprimé et défendu au prix de leur vie. Au point où  la liberté religieuse est devenue un droit fondamental de l’homme et la laïcité un principe cardinal de la vie de l’Etat moderne, principe qui vise avant tout à garantir et à protéger le libre exercice du droit de religion. Il est important qu’à la fin de la pandémie actuelle, de sérieuses réflexions soient engagées de manière sereine sur l’état de notre santé socio-politique, ecclésiale, spirituelle et même pastorale.

« Nous ne pouvons ne pas parler ». Notre victoire sur cette situation d’urgence sanitaire nécessite certes de réelles mesures concrètes, portées par le souci de la protection des citoyens en freinant la propagation du mal, mais aussi des ressources spirituelles. Cette victoire requiert de nous, sans exception aucune, un supplément d’âme, un sursaut spirituel, accompagné d’un sens élevé de sacrifice, de responsabilité et d’objectivité. Nos Églises et autres lieux de culte ne sont donc pas plus des lieux à risque que les autres lieux qui continuent de s’animer. Nous pouvons accompagner nos enfants à l’école mais pas au catéchisme. Ils peuvent aller au sport, mais pas à la messe. Il y a lieu de s’interroger. Notre option pour la suspension des célébrations publiques constituait au fond un important sacrifice, consenti de manière exceptionnelle, pour collaborer à l’effort commun pour la réduction de la propagation de cette pandémie. Nos Églises sont des lieux et espaces de vie ; plus que des édifices destinés au culte, elles sont le signe même de la présence de Dieu au milieu de son peuple. Se rendre à l’Église exprime pour nous la tension de tout notre être vers Dieu.

Cependant, n’oublions pas ceci : nos rassemblements à l’Église sont certes suspendus, mais nul ne peut fermer nos cœurs à Dieu. Voilà pourquoi j’exhorte chacun de vous à maintenir au fond de lui toute la vivacité de sa relation personnelle avec le Seigneur et avec l’Église. J’encourage la participation, en mode vraiment exceptionnel pour ce temps, aux différentes célébrations par les moyens de télécommunication. Notre prière doit être assidue en famille, avec la méditation de la Parole de Dieu et la dévotion à Marie surtout en ce mois qui lui est dédié. De façon particulière, en communion avec le Pape François et tous les croyants du monde et sur la recommandation du Conseil Pontifical pour le dialogue inter-religieux, je demande que le 14 mai prochain soit une « Journée de prière, de jeûne et d’œuvres de charité » chacun selon ses modalités propres.

« Nous ne pouvons ne pas parler ». L’Église est au service de la Vie, et une vie qui va au-delà de cette vie.  Tout en vous exhortant à prendre au sérieux la mise en application des gestes barrières et à veiller par charité, sur les autres et sur vous-mêmes, en évitant tout ce qui pourrait contribuer à la propagation du mal, je vous rassure que par la Passion, Mort et Résurrection du Christ, le prince de ce monde est déjà vaincu : « Gardez courage ! J’ai vaincu le monde » nous dit le Seigneur (Jean 16, 33).

En me recommandant moi-même à vos prières, je vous rassure des miennes, et implore sur chacun de vous la bénédiction du Seigneur en abondance.

Donné à Cotonou, le 12 mai 2020.

+ Roger HOUNGBÉDJI, o.p.,

Archevêque de Cotonou