Messe avec l’École d’Initiation Théologique et Pastorale (EITP)
Dimanche 2 août 2020
Messe avec l’École d’Initiation Théologique et Pastorale (EITP)
Frères et sœurs bien aimés,
Nous voici réunis dans la joie, au terme de cette année passée à l’ÉITP sous le regard du Christ notre Maître et notre Seigneur. Nous venons rendre grâce, non seulement pour cette année, mais pour deux années passées sous son regard et à son écoute.
Oui, chers disciples d’Emmaüs, répondant depuis deux ans à l’appel du Seigneur exprimé par Isaïe dans la première lecture de ce jour en ces mots : « venez acheter du vin et du lait sans argent, sans rien payer », vous avez accouru auprès du Maître, comme les foules de l’évangile pour vous nourrir de sa parole et découvrir davantage son amour dont rien ne pourra jamais nous séparer.
Avant tout propos, je voudrais vous saluer et vous féliciter vivement, vous qui avez persévéré jusqu’au bout, manifestant ainsi votre intérêt pour la science théologique tenue en très haute estime par l’Église depuis toujours. Je crois qu’après avoir cheminé deux ans durant avec le Maître dans cette École, votre cœur est devenu tout brûlant, et vous voilà prêts à aller embraser vos frères et sœurs de l’amour de Dieu.
Avec joie et reconnaissance, je salue le directeur de cette École, le Père Rodrigue ainsi que toute l’équipe qui collabore avec lui. Vous vous êtes rendus disponibles, dans le dévouement et la simplicité, pour communiquer à vos frères et sœurs, l’amour du Christ qui brûle en vous. Je suis très fier de chacun de vous et je vous remercie au nom de tout l’archidiocèse de Cotonou. Puisse le Seigneur vous combler de sa grâce en abondance pour la suite de cette belle mission !
Je me rappelle avec émotion les paroles du Père Rodrigue à la messe d’ouverture de l’École : devant la quasi inexistence de moyens disponibles, il disait que les cinq millions de Francs CFA et les deux livres dont disposait l’École évoquaient les cinq pains et les deux poissons que Jésus a multipliés pour la foule, et que le miracle se ferait. C’était une parole prophétique. Et je ne sais pas s’il a fait exprès de me proposer la date d’aujourd’hui pour la présente action de grâce.
Mais vous constatez bien avec moi que c’est l’évangile de la multiplication des pains que l’Église nous propose aujourd’hui où nous sommes réunis pour rendre grâce avec l’ÉITP. Alors, puisque Dieu nous fait un clin d’œil si évident, quels enseignements pourrions-nous tirer des textes du jour, pour essayer de faire une synthèse de ce que vous avez reçu ici ? Retenons trois enseignements majeurs.
* Le premier enseignement, c’est l’invitation à contempler la gratuité des dons de Dieu. En écoutant la première lecture, il est impossible de ne pas remarquer l’insistance massive du prophète Isaïe sur la notion de gratuité : « même si vous n’avez pas d’argent… venez acheter sans argent, sans rien payer… Pourquoi dépenser votre argent… pourquoi vous fatiguer… ? » Voilà autant d’expression par lesquelles le prophète insiste fortement sur la gratuité des dons de Dieu. Pour mieux comprendre cette insistance, rappelons brièvement le contexte du texte.
Nous sommes à la fin du livre dit de la consolation d’Israël. L’idée dominante, c’est le retour de l’exil et la manifestation de la bonté de Dieu qui veut consoler son peuple. Nous connaissons presque par cœur ce passage qui ouvre le deutéro-Isaïe : « Consolez, consolez mon peuple ! » (Is 40, 1). Et à la fin de ce livre, soit un peu avant notre texte, la promesse de libération est exprimée par des paroles d’une profondeur extraordinaire comme celle-ci : « Est-ce qu’on rejette la femme de sa jeunesse ? dit ton Dieu. Un court instant, je t’avais abandonnée, mais dans ma grande tendresse, je te ramènerai » (Is 54, 6-7).
Ce qui est frappant dans tous ces passages, c’est que ce n’est nullement en vertu des mérites d’Israël que le Seigneur lui prodigue sa miséricorde. C’est uniquement par fidélité à son amour pour Israël que Dieu décide d’intervenir en sa faveur. En insistant donc sur la gratuité des dons de Dieu, le prophète entend mettre l’accent sur la bonté de Dieu qui donne le salut, qui fait grâce, en vertu de son amour miséricordieux.
En ce sens, quand Isaïe écrit : « même si vous n’avez pas d’argent », l’expression « même si » n’a pas seulement une valeur hypothétique, elle a aussi un sens de concession. Autrement dit : bien que vous n’ayez pas d’argent, venez acheter et consommer. Car il est évident que nous n’avons pas de quoi « mériter », encore moins « payer » les dons de Dieu.
En analysant de près notre société moderne, on peut se rendre compte que le refus de Dieu et l’indifférence religieuse trouvent dans une large mesure leurs racines dans le refus d’accepter la gratuité des dons de Dieu. Tant de gens, y compris des chrétiens pratiquants, sont prêts à investir des sommes énormes pour recevoir des initiations et enseignements ésotériques.
Comme le dit bien l’apôtre Paul, « un temps viendra où l’on ne supportera plus l’enseignement solide ; mais au gré de leur caprice, les gens iront chercher une foule de maîtres pour calmer leur démangeaison d’entendre du nouveau… » (2 Tm 4, 3). Ce temps est malheureusement déjà venu, où des prétendus maîtres spirituels foisonnent, répandant comme l’ivraie leur enseignement dispensé à coup d’argent, tandis que l’Évangile du salut, disponible gratuitement, est souvent ignoré.
Pour vous, chers disciples d’Emmaüs, vous avez refusé de gaspiller votre argent pour ce qui ne nourrit pas, et vous êtes venus à l’ÉITP pour recevoir le don gratuit de la connaissance de Dieu. Ma prière pour vous est que cette connaissance s’approfondisse et ravive en vous le feu de l’amour de Christ !
Oui, vous avez reçu gratuitement – même si vous avez dû quand-même contribuer au maintien et à l’entretien de l’École –. Allez donc, et donnez gratuitement ce que vous avez reçu du Seigneur. C’est la mission qu’au nom de l’Église, je désire vous confier aujourd’hui. Mais une telle mission suppose et exige de votre part, un attachement encore plus radical au Christ. Et c’est là le deuxième point de notre méditation.
* Le deuxième enseignement, c’est la nécessité d’approfondir votre union intime avec le Christ. De cette indispensable union intime avec le Christ, saint Paul a fait une vive et profonde expérience, à tel point qu’il a pu écrire : « ni la mort, ni la vie, ni les anges ni les Principautés célestes… ni aucune créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur ».
Nous sommes ici précisément au chapitre 8 de la lettre aux Romains, qui est de loin l’un des chefs-d’œuvre de la littérature paulinienne. Paul fait une longue et belle méditation sur l’amour gratuit et inconditionnel de Dieu, amour dont la preuve suprême se trouve dans le don du Fils unique. Et cette réflexion conduit Paul à cet argument imparable : « Dieu n’a pas épargné son propre Fils, mais il l’a livré pour nous tous : comment pourrait-il, avec lui, ne pas nous donner tout ? » Si donc l’amour de Dieu est si fort, si gratuit, et si profond, qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? C’est là que commence notre texte d’aujourd’hui.
Oui chers frères et sœurs, l’amour de Dieu est gratuit, non parce qu’il aurait peu de valeur, mais plutôt parce qu’il est d’une telle valeur que personne ne peut le mériter. La foi authentique est justement réponse à cet amour, réponse qui doit devenir une véritable union intime avec le Christ. Rappelez-vous la triple question de Jésus à Simon-Pierre : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci » (Jn 21, 15). Ce point examiné lors de la Lectio Divina du 25 juillet dernier nous a montré que toute notre mission pastorale est fondamentalement enracinée dans l’amour du Christ.
Oui, chers disciples d’Emmaüs, vous avez appris ici à approfondir cet amour, cette union intime avec le Christ, par une connaissance plus poussée de son mystère et de sa parole. Le vrai théologien, ce n’est pas d’abord celui qui serait capable de citer par cœur tous les articles de la Somme Théologique. Le vrai théologien, c’est celui qui sait se mettre à genoux devant Dieu, pour que l’amour de Dieu répandu dans son cœur, puisse porter des fruits visibles et conduire les hommes au Christ.
Dans ma lettre pastorale sur la foi authentique, j’insistais sur le fait qu’en tant que croyants, nous devons reconnaître Dieu comme l’Unique nécessaire, Celui sans qui notre vie n’a pas de sens, et entrer dans une véritable vie d’intimité avec Lui. Sans cette intimité avec le Christ, il nous est impossible, même en tant que théologiens, de faire comprendre au monde que rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu. Je vous exhorte donc, en tant « qu’apprentis-théologiens », ou même théologiens que vous êtes désormais, à travailler davantage pour que l’amour de Dieu embrase davantage le monde. Car tant de choses conduisent l’homme moderne à se séparer de l’amour pourtant inconditionnel de Dieu.
Oui, ouvrez les yeux et voyez : l’indifférence religieuse qui fait tant de ravages ailleurs, qui vide les Églises en Occident est déjà là à nos portes, voire à l’intérieur même dans nos sociétés africaines, comme un véritable cheval de Troie. En effet, sous nos yeux, tant d’hommes et de femmes, même baptisés, vivent dans une indifférence totale vis-à-vis de la foi. Plusieurs ne se posent même plus la question de Dieu ni du sens de leur vie, tant le matérialisme, le consumérisme, l’athéisme pratique et l’hédonisme moderne ont creusé des entailles profondes dans notre vie d’Africains pourtant ontologiquement marqués par le sens de Dieu. Oui, ouvrez les yeux et voyez : quand chez nous, les lieux de culte sont simplement confondus avec les lieux de détente et de loisir, quand des gens censés porter une parole publique officielle affirment sans gêne ni scrupule, que la religion fait partie des choses non essentielles, non, nous ne pouvons pas nous taire, nous ne pouvons rester inactifs. Nous devons réveiller la dimension prophétique de notre baptême, en nous engageant véritablement pour la mission. C’est là le troisième point à souligner.
* Le troisième enseignement donc, c’est l’urgence de notre engagement personnel et communautaire pour annoncer l’amour de Dieu. C’est l’un des enseignements essentiels qu’on peut tirer de la page d’évangile proposée à notre méditation. En rapportant la multiplication des pains, les évangélistes ont l’intention de rapprocher Jésus de Moïse. Ce dernier s’était engagé, sous l’ordre de Dieu, à donner au peuple la manne, qui en réalité était un don de Dieu. Jésus, le nouveau Moïse, donne à son tour du pain dans un endroit désert, avant de se présenter – selon le témoignage du quatrième évangile – comme le vrai pain vivant.
Mais en rapportant le même récit de la multiplication des pains, Matthieu a aussi très probablement l’intention de rapprocher Jésus du prophète Elisée qui, en tant de famine, avait nourri une centaine d’hommes avec vingt pains qu’on lui avait apportés. Et je voudrais, avec votre permission, m’arrêter sur cette phrase de Jésus adressée aux disciples : « donnez-leur vous-mêmes à manger ».
Quand Jésus dit cette phrase aux disciples, était-ce pour leur ordonner quelque chose dont ils seraient incapables ? Certainement pas. Au contraire, il les invite et il nous invite à prendre conscience de l’engagement attendu de nous. C’est Dieu qui agit, certes, mais Il veut notre engagement personnel et communautaire. C’est Dieu lui-même qui a donné autrefois la manne à son peuple, mais Il l’a fait par l’intermédiaire de Moïse. C’est encore Dieu qui a nourri les cent personnes, mais par l’intermédiaire d’Elisée (2 R 4, 42-44). De même, c’est bien Jésus qui a multiplié les pains, mais c’est à ses disciples qu’il a demandé de les distribuer aux foules.
Aujourd’hui encore, le monde a faim de la Parole de Dieu et c’est à nous de lui donner cette Parole. Le monde a soif de la vérité, et c’est à nous de lui proposer Jésus, Chemin, Vérité et Vie. Car le témoignage de vie n’exclut ni n’annule l’annonce explicite du message évangélique. Notre monde a faim d’amour, et c’est à nous de lui montrer l’amour de Dieu. Notre monde a faim de justice et c’est à nous d’être artisans de justice, en n’hésitant pas à dénoncer au besoin toute injustice. Notre monde est devenu si pauvre qu’il ne possède plus que le matériel. C’est à nous de lui redonner la richesse qu’est Dieu. Bien chers théologiens, c’est à cela que le Christ vous appelle.
Voilà pourquoi je confie chacun de vous à l’intercession de Marie, Trône de la Sagesse. Intimement unie à son Fils, elle demeure pour nous le modèle de l’adhésion et de la fidélité au Christ. Qu’elle vous soutienne et vous accompagne, afin qu’en avançant dans la connaissance de son Fils, vous ayez la grâce d’annoncer son amour au monde entier qui sans le savoir, a faim et soif de Dieu. Que Dieu vous en accorde la grâce, Lui qui vit et règne maintenant et pour les siècles des siècles. Amen.