Vœux temporaires OCPSP
Lundi 7 septembre 2020.
Vœux temporaires OCPSP / ABOMEY-CALAVI
Chers frères et sœurs,
Nous sommes réunis ici ce matin pour entourer de notre affection et soutenir de nos prières ces jeunes filles qui, après des années de formation, de réflexion et de prière, ont décidé librement et spontanément de consacrer toute leur vie au Seigneur. Il est vrai qu’elles ne font aujourd’hui que la profession temporaire, mais nous pouvons déjà lire à travers leur engagement le désir de consacrer l’intégralité de leur vie au Seigneur. Oui, il est beau et il est grand, le mystère de la consécration, véritable alliance par laquelle Dieu veut que notre condition humaine retrouve sa splendeur première, et que, dès ici-bas, nous ayons un avant-goût des biens du monde à venir[1].
Pour cette célébration qui nous rassemble autour de nos futures professes, permettez-moi de leur parler cœur à cœur, afin de leur redire le sens, la gravité et la grandeur de ce qu’elles font ce matin, ou plutôt, de ce que Dieu fait d’elles aujourd’hui.
Oui, mes chères filles, être religieuse, ce n’est pas d’abord porter un bel uniforme, prier et accomplir des tâches. Non ! La personne consacrée ne se définit ni par l’habit, ni par ce qu’elle fait, mais plutôt par ce qu’elle est devant Dieu et dans la vérité de sa conscience. C’est notre être religieux/consacré qui importe devant Dieu. Et être consacré, c’est répondre par amour à l’appel du Christ. C’est s’attacher de façon radicale et exclusive au Christ, adhérer totalement à lui au point de pénétrer dans le cœur même de son amour, pour devenir à son tour « présence réelle », présence visible et tangible de l’amour du Christ dans le monde et dans l’Église.
Et c’est là justement le sens des trois conseils évangéliques que vous allez professer tout à l’heure: la chasteté qui nous libère de tout attachement exclusif, pour consacrer sans réserve notre vie au Christ ; la pauvreté qui nous élève au-dessus de l’attrait des biens de ce monde pour un attachement encore plus radical au Christ ; et l’obéissance qui nous fait renoncer à nous-mêmes, à notre propre volonté, pour ne vouloir que ce que le Christ veut, par la médiation de nos supérieurs légitimes. De cette manière, les conseils évangéliques sont un véritable chemin de libération pour la consacrée consciente du mystère auquel elle adhère.
Vous le voyez donc, mes chères sœurs, ce que Dieu va faire de vous ce matin est grand, beau et grave – au sens étymologique du terme –. Il va faire de vous des signes visibles de sa sainteté au milieu du monde, à tel point qu’en vous côtoyant, l’on devrait sentir, respirer, toucher du doigt la sainteté même de Dieu. Dieu, en faisant alliance avec vous, se remet littéralement Lui-même en vos mains, vous conférant et vous confiant sa sainteté à défendre et à honorer dans l’Église et dans le monde.
Vous comprenez bien à quel point votre responsabilité est engagée. Vous voyez bien aussi à quel point Dieu et l’Église désirent compter sur vous. Voilà pourquoi je vous exhorte instamment à quitter rapidement l’euphorie de la fin du noviciat et de l’admission aux vœux, pour appréhender toute la gravité de la démarche que vous faites ce matin, afin d’être véritablement des intendantes fidèles et avisées des grâces que Dieu vous confiera aujourd’hui. Mais comment serez-vous de telles religieuses, dont toute la vie honore Dieu, sanctifie l’Église et élève le monde ? A partir des textes du jour, je voudrais vous indiquer trois repères fondamentaux.
Le premier repère, c’est d’avoir conscience que la consécration est un engagement radical à la sainteté. Tout à l’heure, quand je vous ai interrogées sur ce que vous demandez à Dieu et à son Église, vous avez répondu : la miséricorde de Dieu et la grâce de le servir plus parfaitement… Et dans quelques instants, la première question que je vous poserai lors de l’interrogatoire, rappellera votre consécration baptismale que vous désirez approfondir par la profession des conseils évangéliques. La consécration baptismale comporte déjà une profonde exigence de sainteté pour tout disciple du Christ. Or vous, en tant que religieuses, vous désirez approfondir cette consécration baptismale, pour suivre le Christ de plus près et plus parfaitement. Donc, vous vous engagez de façon plus radicale à la sainteté de vie, exigée de tout chrétien.
Dans la première lecture, saint Paul s’insurge contre les fidèles de Corinthe qui, au mépris de leur consécration baptismale et de l’appel à la sainteté, couvrent un scandale tel qu’on n’en voit même pas chez les païens : « il s’agit d’un homme qui vit avec la femme de son père ». L’apôtre insiste fortement sur l’incompatibilité d’une telle conduite avec l’identité et la vocation chrétiennes. De fait, pour lui « il faut livrer cet individu au pouvoir de Satan, pour la perdition de son être de chair ; ainsi son esprit pourra être sauvé au jour du Seigneur ». Le psaume responsorial reprend la même idée de sainteté à rechercher à tout prix, et insiste sur le fait que Dieu, en dépit de sa miséricorde, ne peut ni supporter, ni tolérer l’impiété ni le vice : « Tu n’es pas un Dieu ami du mal, chez toi le méchant n’est pas reçu… tu détestes tous ceux qui font le mal, tu extermines les menteurs, l’homme du ruse et de sang, le Seigneur le hait ! »
Vous mes chères sœurs, vous allez être consacrées à ce Dieu Saint, vous engageant ainsi à poursuivre inlassablement la sainteté. Ne suivez donc pas le Christ sur la pointe des pieds ; suivez-le d’un pas résolu ! C’est le lieu de le dire : la sainteté n’est pas facultative ! C’est un appel lancé à tout chrétien, disciple du Christ. En conséquence, si quelqu’un ne veut pas être saint, qu’il n’embrasse pas le chemin de la vie chrétienne, encore moins de la vie religieuse. Car un consacré, en tant que témoin visible, est un modèle, et ce qu’on attend d’un modèle est qu’il puisse édifier par sa vie.
Voilà pourquoi, mes chères sœurs, en ce jour de votre consécration, je vous exhorte instamment, je vous supplie à la suite de saint Paul, de considérer tout ce qui ne conduit pas à la sainteté comme de la balayure, ce qui est inutile et nuisible. Le monde est rempli de différentes sortes de mirages qui sont lieu de tentations de plus en plus agressives. Mais vous, méprisant le monde, vous avez choisi le Christ. Que lui-même vous garde toujours dans la droiture et la vérité en vue de la sainteté.
Le deuxième repère, c’est la nécessité d’un véritable renouvellement intérieur, afin de mieux correspondre à ce que le Seigneur fait de vous aujourd’hui. S’adressant toujours aux Corinthiens, l’apôtre Paul écrit : « ne savez-vous pas qu’un peu de levain suffit pour que fermente toute la pâte ? Purifiez-vous donc des vieux ferments, et vous serez une pâte nouvelle… » C’est dire que le baptisé, et plus encore le consacré, c’est celui qui laisse Dieu le renouveler intérieurement. Le consacré, c’est celui qui s’efforce au quotidien de se débarrasser de tout mauvais levain susceptible de corrompre toute la pâte.
Oui, chères sœurs, le noviciat a été le moment propice où avec l’aide de l’Esprit, vos formatrices ont essayé de discerner et d’enlever de vos cœurs les vieux ferments. Mais n’allez pas croire que cette étape soit terminée aujourd’hui : elle doit toujours se poursuivre. C’est à tout moment que le vrai consacré travaille à libérer son cœur de tout ce qui l’éloigne de la sainteté. Ne pas le faire, ou pire encore, sympathiser ou même pactiser avec ces vieux ferments, ce serait empêcher Dieu de vous renouveler de l’intérieur. Car une fois consacrées, vous devenez des êtres sacrés, entièrement mises à part pour le Dieu trois fois saint. Comme l’exprime si bien la langue fon, vous devenez des « Sɛkanta », c’est-à-dire la sainte part intangible que Dieu se réserve à Lui-même pour sa gloire et pour le salut du monde. Que jamais ne soit profané l’être sacré que vous devenez !
Que votre consécration soit donc le lieu d’un recentrage de votre vie sur le Christ. Ayez bien conscience que votre cœur est désormais le champ de bataille où s’affronteront comme dans un duel, l’esprit du monde qui vous tire vers le bas, et l’Esprit du Christ qui vous attire vers les hauteurs. Résistez toujours avec la force de la grâce qui est en vous, conscientes qu’une âme qui s’élève élève le monde, tandis qu’une âme qui s’abaisse, abaisse le monde. Vous, soyez des âmes qui élèvent le monde !
Enfin, le troisième repère que je souhaite vous indiquer, c’est l’audace prophétique du Christ dans votre engagement au service du bien. Dans la page d’évangile de ce jour, Jésus brave l’hostilité des scribes et pharisiens, pour accomplir un miracle le jour du sabbat. Nullement intimidé par les menaces de morts qui planaient sur lui, il redéfinit le sabbat non plus comme un joug qui opprime, mais comme un véritable lieu de libération pour l’homme, et ramène ses adversaires à l’essentiel par cette question : « est-il permis, le jour du sabbat, de faire le bien ou de faire le mal ? » Et justement, il brave le spectre du sabbat et la menace de ses adversaires pour guérir cet homme, afin qu’il puisse désormais se servir de sa main pour faire du bien à son tour. Telle doit être l’audace prophétique de tout consacré appelé à être témoin.
Oui mes chères sœurs, la bonne religieuse, ce n’est pas celle qui garde toujours le silence, sans jamais rien apporter de constructif à sa communauté. Ne soyez pas des figurantes, mes sœurs. Au contraire, si par le baptême vous êtes déjà prophètes, que la consécration religieuse suscite et accroisse votre audace prophétique, afin que vous puissiez, dans le respect et l’obéissance, apporter à l’Église et au monde la richesse particulière que Dieu a mise en chacune de vous. Ayez l’audace de dire non au conformisme, non aux mauvais conseils, non à tout ce qui atténue la radicalité de vos engagements.
Des religieuses courageuses comme Catherine de Sienne, Thérèse d’Avila, Thérèse de l’Enfant Jésus, Bakhita, Mère Teresa de Calcutta, Mère Elisabeth Nobre ont beaucoup apporté à l’Église par leur audace prophétique. Vous aussi, tout en obéissant à l’Église et à votre Institut, ayez cette audace prophétique dans la recherche incessante du bien à accomplir, afin que votre mission en tant que religieuses soit un lieu de libération pour toute personne. Tant d’hommes et de femmes sont retenus par les liens du péché et de la mort, enfermés dans une indifférence religieuse totale. Que le Seigneur vous donne cette audace dans la foi, afin que toute rencontre avec vous, soit rencontre avec le Christ lui-même.
Voilà pourquoi, en implorant pour vous le soutien et l’intercession de la Vierge Marie, mère des consacrés, je formule à l’endroit de chacune de vous l’oraison des laudes de ce matin : que le Seigneur dirige et sanctifie, ordonne et gouverne aujourd’hui et toujours vos cœurs et vos corps, vos pensées, vos paroles et vos actions ; qu’Il vous fasse suivre sa volonté et ses ordres afin qu’ici-bas et pour toujours, vous viviez par sa grâce en témoins de sa charité et signes visibles de sa sainteté, Lui qui vit et règne maintenant et pour les siècles des siècles. Amen.
[1] Cf. Préface des saints religieux.