Solennité de la Toussaint
Dimanche 1er novembre 2020.
Solennité de la Toussaint.
Chers frères et sœur dans le Christ,
C’est avec une grande joie que je viens célébrer la solennité de la Toussaint avec vous. En ce jour, je viens bénir le Seigneur avec vous pour tous les saints, ces hommes et femmes qui ont aimé et servi Dieu et dont la vie admirable provoque l’action de grâce au cœur des chrétiens du monde entier. Je viens chanter et louer le Seigneur car, Il a donné à des êtres fragiles de Lui rendre témoignage.
Cette célébration est d’autant plus solennelle que nous n’honorons pas un seul saint, nous ne célébrons pas uniquement les saints canonisés par l’Église universelle. Nous célébrons la sainteté des témoins du Christ, les amis de Dieu, cette foule immense que nul ne peut dénombrer et dont nous parle le Livre de l’Apocalypse. Nous célébrons tous ceux et celles qui, sur la terre, ont dit Oui à Dieu et accepté de prendre leur croix pour suivre le Christ. En un mot, la solennité de la Toussaint nous offre l’opportunité de célébrer la sainteté de Dieu dont tant d’hommes et de femmes sont devenus des reflets.
Cette solennité a connu une naissance progressive dans l’Église. Dans l’Église primitive, après la période des grandes persécutions, une fête était instituée pour célébrer tous les martyrs. Le 13 mai 610, quand le pape Boniface IV faisait transporter toutes les reliques des martyrs des catacombes romaines pour l’Église « Sainte-Marie et des martyrs », on célébra très solennellement tous ceux qui ont versé leur sang pour témoigner du Christ Jésus. Cette fête s’est progressivement étendue à tous les saints et un siècle plus tard, elle a été définitivement transférée au 1er novembre. Si la Toussaint n’a pas directement une origine biblique comme les solennités de la Noël, de la Pâques et de la Pentecôte, elle célèbre l’exemple de vie de celles et ceux dont la vie a été éclairée par la Parole de Dieu.
L’auteur de la lettre aux Hébreux évoquait déjà cette « immense nuée de témoins, débarrassés de tout ce qui nous alourdit – en particulier du péché qui nous entrave si bien » (He 12,1). L’Église nous rend justement sensibles à l’existence des saints, à leur présence. Elle sollicite leur intercession, et par cette fête instituée, elle nous invite à les imiter.
Je voudrais pour ma part, en ce jour, prolonger cette invitation en essayant de nous faire comprendre d’une part, que chacun de nous est appelé à être saint et peut l’être réellement, en relevant d’autre part, quelques efforts de perfection auxquelles nous devons restés sensibles aujourd’hui. Comme nous l’enseigne le pape François dans son exhortation apostolique Gaudete et Exultate : « nous sommes tous appelés à être des saints en vivant avec amour et en offrant un témoignage personnel dans nos occupations quotidiennes, là où chacun se trouve »[1].
Ainsi, de même que, dans nos entreprises nous nous fixons un objectif global que nous atteignons progressivement en passant par des objectifs spécifiques, toute la vie chrétienne est tendue vers un objectif global : la sainteté. Saint Augustin l’exprime en ces termes : « Toute la vie du chrétien est un saint désir[2] (c’est-à-dire, un désir de sainteté) »[3]. L’appel à la sainteté nous est personnellement adressé par le Christ lorsqu’il dit : « Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5, 48).
Mais la sainteté, comme une boussole, orientait déjà la marche du peuple d’Israël depuis l’Ancien Testament. En Lv 19,2, le Seigneur avait fixé à son peuple le but de son cheminement : « Soyez saints, car moi le Seigneur votre Dieu, je suis saint ». L’objectif de notre marche terrestre est donc clairement précisé : nous sommes tous appelés à la sainteté parce que tous, nous pouvons y répondre. Tous, nous sommes appelés à y répondre précisément parce que la sainteté est à la portée de tous.
La sainteté fait en réalité partie du processus normal de vie d’un bon chrétien. Un jour, une journaliste demanda à brûle-pourpoint à Mère Teresa ce qu’elle ressentait en se voyant acclamée comme une sainte par tout le monde. Elle répondit : « La sainteté n’est pas un luxe, c’est une nécessité ». A la suite de celle que l’Église universelle honore désormais comme une sainte, je viens vous prier de ne pas avoir peur d’emprunter le chemin de la sainteté. Comme le précise, le Père Cantalamessa : « nous serons des personnes vraies, accomplies, dans la mesure où nous serons saints. Sinon, nous serons des ratés »[4].
Voulons-nous que notre vie apparaisse comme un échec total, comme une vie ratée ou bien voulons-nous que le Christ nous accueille en disant : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde » (Mt 25,34). Notons que : « Le contraire de saint n’est pas pécheur mais raté ! »[5]. Le saint est un pécheur converti !
La vision du livre de l’Apocalypse, dans la première lecture de ce jour, révèle que l’immense foule que nul ne pouvait dénombrer était constituée de toutes les nations, de toutes les tribus, de tous les peuples, de toutes les langues et même de toutes les conditions de vie. La diversité des saints, que nous avons, manifeste clairement que tout état de vie peut servir de creuset pour la sainteté. Saint François d’Assise est né d’une famille riche mais saint Jean Marie Vianney vient d’une famille de pauvres paysans.
Pour nous engager sur le chemin de la sainteté, nous n’aurons pas besoin de diplômes ou de déposer un dossier dans l’espoir d’obtenir quelque chose d’hypothétique. Saint Benoit Labre était instruit mais il a vécu comme un mendiant. Pour être saint, nous n’aurons pas non plus besoin de mener une vie triste et cachée. Saint Louis de Poissy était roi de France et il était un saint homme politique. Pour être saint, il n’est pas nécessaire de naître en Europe ou aux États Unis, il n’est pas utile d’avoir un certain âge. Saint Kisito était ougandais et il était mort martyr à 14 ans.
Pour être saint, il suffit de prendre la décision de devenir un réel ami du Christ et d’accepter quotidiennement de faire des efforts en suivant les enseignements de l’Église. C’est dire que nous pouvons même prendre la décision d’être saint ici et maintenant en commençant à nous poser la question suivante : « Ai-je faim et soif de la sainteté, ou me suis-je résigné à la médiocrité ? »[6]. Et à partir de ce jour et pour toujours, il faudra consentir quotidiennement à de petits efforts dans notre marche à la suite du Christ.
Dans la ligne de ces efforts à entreprendre au quotidien pour construire notre vie de sainteté, je voudrais, à la lumière des textes liturgiques de ce jour, relever trois points majeurs pour notre méditation.
Le premier point est le refus de se conformer au monde présent. Le modèle de sainteté que le Christ nous propose dans la page d’évangile de ce jour est en effet différent du modèle de la société. Dans cette péricope, Jésus est sur la montagne, lieu privilégié pour la rencontre avec Dieu. Il contemple le bonheur dans lequel son Père nous introduit et nous le décrit. Ce bonheur est franchement différent de celui du monde.
En réalité, depuis la faute originelle, l’humanité a perdu le vrai bonheur et se contente de plaisirs contrefaits, frelatés, je dirais même de bonheur kpayↄ, comme on le dit chez nous. L’évangile de ce jour nous annonce dans son authenticité le bonheur retrouvé avec Dieu : Heureux les pauvres de cœur, Heureux ceux qui pleurent, Heureux les doux, Heureux les miséricordieux, Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice…
Selon le modèle du monde, ce sont plutôt les riches et non les pauvres, les puissants et non les doux qui sont heureux… Or, pour être saint, remarquons que le bonheur des riches et des puissants (dans la manière de gérer les biens de ce monde) est fuyant, égoïste et passager tandis que le bonheur des saints est stable, désintéressé et éternel. Pour être saint, il faut renoncer à la fausse conception du bonheur et du plaisir mondain afin de voir l’autre aspect des choses, afin de vivre des vraies joies des enfants de Dieu.
Le deuxième point majeur est le sens de l’autre, l’importance que nous accordons à l’autre. En ces temps où nous sommes, pour être saint, il faut développer le sens de l’autre. Notre monde actuel a en effet divinisé l’individu – c’est le règne de l’individualisme – au point qu’il a perdu le sens de l’autre, voire le sens de Dieu, le Tout Autre. Dans la deuxième lecture de ce jour, l’apôtre saint Jean nous invite à découvrir le grand amour dont le Père nous a aimés. En faisant de nous ses enfants, ses privilégiés, le Seigneur veut que nous prenions les chemins du monde pour témoigner de son amour pour les hommes et les femmes de notre temps. C’est au cœur de ce monde où nous sommes mis en relation les uns avec les autres que nous pouvons témoigner de notre amour pour Dieu et pour les hommes.
Au lieu d’être des chrétiens qui bénéficient seulement des sacrements, nous devons être des chrétiens auxquels les sacrements donnent la force et la vaillance pour aller vers les autres. Nourrir l’affamé, donner à boire à l’assoiffé, vêtir celui qui est nu, rendre visite aux malades et aux prisonniers ne constituent pas des choses facultatives pour une bonne vie chrétienne. Ceux qui empruntent le chemin de la sainteté restent toujours sensibles à la présence des autres.
L’appel à vivre sous la conduite de l’Esprit Saint afin de devenir des communautés chrétiennes plus responsables, structurées et harmonieuses, que j’ai lancé hier, contient fondamentalement cette nécessité d’accueil et d’attention à l’autre. Le pape François confirme d’ailleurs cet appel dans sa dernière encyclique sur la fraternité universelle et l’amitié sociale, Fratelli Tutti, lorsqu’il dit : « L’attention affective, qui est portée à l’autre, conduit à rechercher son bien gratuitement. Tout cela fait partie d’une appréciation, d’une valorisation, qui est finalement ce qu’exprime le mot « charité » : l’être aimé m’est « cher », c’est-à-dire qu’ »il est estimé d’un grand prix ». Et « c’est de l’amour qu’on a pour une personne que dépend le don qu’on lui a fait » »[7].
Le troisième point majeur concerne l’éducation. En ces temps où nous sommes, pour être saint, il faut éduquer les enfants selon l’Évangile. Dès le bas âge, dès les premières années de leur existence, il ne faut pas hésiter à les conduire au Christ, à leur communiquer l’amour de l’Église, à les inscrire dans les groupes d’action catholique, à prier avec eux et pour eux, à leur communiquer l’amour de l’adoration eucharistique.
Aujourd’hui notre modèle est tout autre. Quand nous les avons inscrits au catéchisme, nous détruisons le peu de spiritualité qu’ils y reçoivent par une servitude à l’écran et à l’usage immodéré des techniques de l’information et de la communication. Aujourd’hui, combien de parents lisent la Bible avec leurs enfants ? Combien de parents ne les habituent pourtant pas à une certaine dépendance de la télévision et du portable ?
Prenons conscience de la fausse route et engageons-nous sur les vrais sentiers de la sainteté. Louis et Zélie MARTIN, les parents canonisés de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus ont construit leur vie de sainteté dans le mariage et dans la bonne éducation donnée à leurs enfants. Monique, la mère de saint Augustin, nous révèle comment une mère qui a le souci de la conversion de son enfant peut devenir une sainte.
Au cours de cette eucharistie, demandons au Seigneur qu’à l’exemple de ces saints dont nous faisons mémoire, et par leur intercession, Il nous donne de répondre nous-aussi fidèlement à notre propre vocation, au cœur du monde. Qu’il nous en accorde la grâce, Lui qui vit et règne maintenant et pour les siècles des siècles. Amen.
[1] Exhortation apostolique Gaudete et Exultate, n°14
[2] Tota vita christiani boni, sanctum desiderium est.
[3] Cf. R. CANTALAMESSA, L’héritage spirituel de Vatican II, p. 40-41.
[4] Idem, p. 36.
[5] Ibidem.
[6] Idem, p. 41.
[7] Fratelli Tutti, n° 93.