Homélie Messe Chrismale 2025
Mercredi 16 avril 2025
Cathédrale Notre-Dame de Miséricorde de Cotonou
Messe chrismale
Excellence Mgr Rubén Darío Ruiz MAINARDI, Nonce Apostolique près le Bénin et le Togo,
Chers confrères dans le sacerdoce,
Révérendes sœurs, révérends frères,
Chers frères et sœurs dans le Christ,
Je me réjouis d’être avec vous ce matin, dans cette église-cathédrale, signe de notre unité diocésaine, pour la célébration de cette messe chrismale. Au cours de cette eucharistie, nous procéderons comme de tradition à la consécration du saint-chrême, la bénédiction des huiles pour les catéchumènes et les malades et au renouvellement des promesses sacerdotales par les prêtres de l’Archidiocèse.
Cette messe qui nous rassemble quelques jours avant Pâques, est donc d’une importance capitale en ce sens qu’elle manifeste la communion entre les prêtres et leur évêque, mais surtout la communion du peuple chrétien avec le Christ, Tête du Corps sacerdotal et ecclésial que nous formons.
Le Christ est en effet Celui qui nous réunit et nous invite à faire corps avec lui pour participer à son œuvre de Rédemption. Nous ne saurons rester fidèles à cette mission qu’en tenant en haute estime l’esprit de communion qui nous unit au Christ et nous permet d’être solidaires les uns des autres.
C’est l’occasion pour nous de rendre grâce au Seigneur pour ce que sont les prêtres dans la vie de l’Église. Comme aimait à le dire saint Jean-Marie Vianney, l’humble curé d’Ars, en s’exclamant : « Oh, que le prêtre est quelque chose de grand ! Car il peut donner Dieu aux hommes et les hommes à Dieu. Il est le témoin de la tendresse du Père envers chacun et l’artisan du salut »[1].
Oui, le prêtre est réellement un don de Dieu pour l’Église : c’est à travers lui (à travers le ministère qu’il accomplit au nom du Christ dans son Église) que le salut nous est octroyé. Comme le précise le même saint curé d’Ars : « Sans le prêtre, la mort et la passion de Notre Seigneur Jésus-Christ ne serviraient de rien. Les peuples païens ne pourront pas avoir part au bienfait de la Rédemption, tant qu’ils n’auront pas des prêtres pour leur faire l’application de son sang »[2]. Nous ne cesserons donc de rendre grâce à Dieu pour le mystère que constitue la vie du prêtre pour l’Église.
En rendant grâce à Dieu, je voudrais, en mon nom personnel et au nom de tout le peuple chrétien de notre diocèse, vous saluer et vous remercier sincèrement, chers pères, pour le dévouement et l’abnégation avec lesquels vous accomplissez la mission qui vous est confiée dans le champ du Seigneur. Le Seigneur, Maître de la Vigne et de la Moisson, est le seul qui voit dans le secret toutes les peines et sacrifices que vous acceptez généreusement d’endurer pour la réalisation de cette noble mission. Il saura lui-même vous le rendre à la mesure sans mesure de son amour.
C’est dire que face aux obstacles et défis liés à cette mission, vous n’avez pas à baisser la garde. Comme nous le méditerons tout au long du Triduum pascal, c’est au prix de sa vie offerte en sacrifice que le Christ a obtenu pour nous le salut. Dans le même sens, c’est en acceptant d’offrir nous-mêmes notre vie en sacrifice que nous pourrons participer aussi au salut des hommes. Il importe donc pour nous de demeurer en Christ, de rester intimement soudés à lui, à la manière des sarments rattachés à la Vigne, pour réellement porter du fruit et participer à la Rédemption du monde.
Si donc le Christ est notre modèle, la source première de notre mission, nous ne pourrons pas ne pas nous référer à lui et repartir de lui. Sa vie passée avec les hommes sur terre, une vie marquée principalement par sa passion, sa mort et sa résurrection, est pour nous une source incontournable : c’est l’origine et la fin, l’Alfa et l’Oméga, qui donne sens à notre vie sacerdotale et chrétienne. Dans cette perspective, à la lumière des textes proposés à notre méditation, quelles sont les attitudes majeures que le Christ nous recommande pour réellement prendre part à la mission de Rédemption à laquelle nous sommes associés ?
La première attitude consiste à être docile à l’Esprit du Seigneur : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction ». L’Esprit dont il est question est bien celui dont parlait déjà le prophète Isaïe et que nous rapporte la première lecture de ce jour. Cet Esprit se présente comme la marque particulière du Messie de Dieu, ce roi davidique que Dieu fera surgir aux temps messianiques pour assurer la délivrance de son peuple. Au chapitre 11 de son livre, le prophète Isaïe donne une description intéressante du type d’Esprit que recevra le Messie : « Sur lui reposera l’Esprit du Seigneur, un Esprit de sagesse et d’intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de connaissance et de crainte du Seigneur ». Autrement dit, il s’agit d’un Esprit aux multiples dons qui manifestent la perfection même de Dieu.
En s’appliquant ce texte d’Isaïe, Jésus dans la page d’évangile de ce jour nous montre qu’il est bel et bien celui en qui se réalisent les promesses des temps messianiques. C’est ce qu’il atteste à travers la déclaration suivante : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre ». Par le terme « aujourd’hui », Jésus montre que son action présente à Nazareth (sa prédication dans la synagogue de cette ville) est le moment précis où s’accomplit la prophétie d’Isaïe : il est le Messie de Dieu attendu, celui sur qui repose ici et maintenant l’Esprit du Seigneur. Il a reçu cet Esprit dès son baptême au Jourdain et il est resté docile à cet Esprit tout au long de son ministère terrestre jusqu’à la mort sur la croix. L’Esprit dont Jésus a reçu l’onction est donc celui qui fait de lui un homme docile, obéissant à Dieu le Père jusqu’à la mort et la mort en croix.
En tant que prêtres de Jésus-Christ, nous avons reçu par onction le même Esprit qui fait de nous des hommes configurés au Christ. L’Esprit reçu fait de chacun de nous non seulement un alter Christus (un autre Christ), mais aussi un ipse Christus (le même Christ). C’est dire ici toute la grandeur, voire la gravité de notre mission dans l’Église. Comme prêtres, nous devons toujours être conscients du fait que nous avons reçu non pas l’esprit du monde mais l’Esprit de Dieu. Nous devons donc éviter à tout prix de nous comporter comme les gens du monde. Nous sommes en effet dans le monde mais pas du monde (cf. Jn 17, 14-16).
D’où la nécessité de toujours rechercher à renoncer à nous-mêmes, à nos propres désirs et velléités mondains, pour n’adhérer qu’à la volonté de Dieu. Comme nous avertit le Christ : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix chaque jour, et qu’il me suive. Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi, celui-là la sauvera » (Lc 9, 23-24). Autrement dit, la configuration de notre vie à celle du Christ exige de façon incontournable et constante une renonciation à nous-mêmes, à notre volonté propre.
Une telle renonciation ne relève ni de la chair ni du sang : c’est une grâce qui nous est accordée lorsque notre vie est en parfaite symphonie avec celle du Christ, lorsque nous sommes réellement animés de l’Esprit de Dieu. Cette présence de l’Esprit de Dieu en nous suppose une vie de prière intense et assidue. Comme nous le rappelle un des grands auteurs spirituels de notre temps, dans notre vie de prière, il s’agit « d’être nous-mêmes une parole vivante de Dieu. Si nous vivons Dieu, si nous Le respirons, si nous sommes immensifiés par Sa présence, si nous sommes libérés parce que nous cessons de nous regarder et que nous le regardons, on le sentira et ce sera la plus belle révélation de Dieu (…). Il s’agit de devenir une vivante parole de Dieu en vivant Dieu, en le laissant vivre en nous et en faisant tellement de silence que jamais nous n’empêchions cette petite voix de se faire jour en nous, dans laquelle Dieu nous enseigne et nous conduit à son intimité, où nous pouvons le connaître enfin dans un cœur à cœur unique, inépuisable, infini, qui est supérieur à tout langage, qui défie toute formule et qui est justement cette connaissance nuptiale que l’on obtient uniquement quand on s’échange avec Dieu. »[3]
De fait, un prêtre qui ne prie pas et ne vit pas dans une intimité profonde et constante avec Dieu est un danger public : non seulement il court le risque de tourner à vide mais aussi sa vie de prêtre ne peut constituer un lieu de rayonnement pour les autres. Car on ne donne aux autres que ce qu’on a. Comme le dit ce passage de l’Écriture : « L’homme bon, du bon trésor de son cœur, tire ce qui est bon, et celui qui est mauvais, de son mauvais fond, tire ce qui est mauvais ; car c’est du trop-plein du cœur que parle la bouche » (Lc 6, 45). Autrement dit, un prêtre qui vit en intimité profonde avec le Christ dans le sens de ɖɛvíɖɛnɔ ne peut que tirer le bien du bon trésor de son cœur pour la vie et le rayonnement des brebis qui lui sont confiées.
La deuxième attitude majeure à adopter pour participer à la mission rédemptrice du Christ consiste à être porteur de la Bonne Nouvelle. Dans la page d’évangile, la principale mission que Jésus s’est assignée en venant à Nazareth et en s’identifiant au Messie de Dieu consiste à « porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur ».
Autrement dit, il s’agit pour Jésus d’adresser une parole qui soit Bonne Nouvelle à toutes les catégories d’hommes frappés par différents types de détresse. La parole qui sort de la bouche de l’envoyé de Dieu doit pouvoir redonner de l’espoir aux pauvres, libérer ceux qui sont enchaînés, permettre à ceux qui sont aveugles de voir, faire découvrir à tous les hommes les faveurs de Dieu dans ce qu’ils entreprennent.
C’est dire que la parole qui sort de la bouche de l’envoyé de Dieu ne saurait prononcer des menaces, semer la terreur, incendier les cœurs et les esprits, provoquer le découragement, empoisonner la vie fraternelle. Une telle parole serait purement et simplement cause d’une mauvaise nouvelle, laquelle au lieu de remettre l’homme debout, provoquerait sa chute, voire son anéantissement.
Chers confrères dans le sacerdoce, notre configuration au Christ nous oblige à être toujours des porteurs de la Bonne Nouvelle à travers les prédications, les enseignements et les différentes sortes d’exhortations à l’endroit du peuple de Dieu qui nous est confié. Nous ne saurions utiliser l’ambon ou notre position de prêtre pour menacer le peuple chrétien, faire des règlements de compte, prononcer des imprécations.
Par ailleurs, dans le but de soigner les rapports interpersonnels et d’entretenir la communion fraternelle en notre sein, nous devons être bienveillants les uns vis-à-vis des autres. Cette bienveillance devrait nous amener à toujours relever ce qu’il y a de positif chez les autres (malgré toutes les imperfections qu’on peut leur attribuer) et à éviter d’être toujours négatifs, voire pessimistes. En tant que prêtres, notre bouche doit toujours servir à bénir les hommes. Mais du moment où nous nous en servons pour faire entendre de mauvaises nouvelles, notre parole prend les allures d’une malédiction, ce qui nous éloigne entièrement du plan de Dieu.
Chers confrères dans le sacerdoce, comme porteurs de la Bonne Nouvelle au peuple dont nous avons la charge, soyons donc des semeurs d’espérance. C’est dans ce sens que nous pourrons prétendre être des « pèlerins d’espérance » comme nous y sommes conviés par le Pape François durant cette année jubilaire. Comment pouvons-nous concrètement rendre visible notre sacerdoce en tant que « pèlerins d’espérance » ? C’est sur ce dernier point que j’aimerais, pour finir, attirer votre attention dans cette méditation.
La troisième attitude majeure que le Christ attend de nous dans la participation à sa mission rédemptrice consiste en un engagement auprès des personnes les plus vulnérables en société. En tant que Messie de Dieu assumant pleinement la prophétie d’Isaïe, Jésus affirme sans ambages que son action messianique est dirigée vers les personnes les plus vulnérables de la société : les pauvres, les captifs, les aveugles, es opprimés, les désespérés. C’est vers ces couches sociales frappées par différents malheurs que le porteur de la Bonne Nouvelle est envoyé.
C’est dire que notre mission de prédication n’a de sens et de pertinence que lorsque nous sommes réellement engagés aux côtés des plus vulnérables de la société. C’est en nous mettant résolument à leur service, à la manière du Christ entièrement consacré aux plus petits, que nous les aiderons à se remettre debout en les faisant passer de la désespérance à l’espérance.
Comme je le disais dans ma dernière Lettre Pastorale : « Dans un monde envahi par le pessimisme devant la dégradation de la nature et de l’écosystème[4], l’espérance chrétienne doit se traduire par l’optimisme et la joie dans l’Esprit Saint. Il ne s’agit pas de la joie extérieure et éphémère qui résulte des profits mondains, mais de la joie intérieure qui nous fait croire que, malgré tout, Dieu est à l’œuvre dans l’histoire et qu’il compte sur nous pour l’ordonner vers le bien-être global. L’Évangile de la joie doit caractériser le croyant et légitimer sa mission dans le monde et pour le monde[5]. Avec le Christ, notre espérance, et animés par le dynamisme de l’Esprit Saint, nous serons capables de prendre des initiatives hardies qui aideront à surmonter les morosités, les résignations, les amertumes et les tristesses d’un monde qui tourne dos à Dieu et qui perd ainsi le sens de la vie et de l’engagement pour la culture de la vie. Jésus a pris notre chair pour sauver toute l’humanité. C’est en vivant en lui et dans son Esprit que nous pourrons prendre notre part à la sauvegarde, à la protection et à la promotion du monde. Plus nous nous ferons « capacité », plus il déferlera ses torrents de grâce en nous et par nous pour le monde. Dans cette perspective, il nous faudra apprendre à nous enraciner en lui, grâce à la culture du silence, de la prière et de l’émerveillement devant la nature et la vie. »[6]
Dans cette perspective, à l’occasion des 70 ans de notre diocèse, il serait opportun que nous puissions nous référer à certaines figures inspirantes d’aînés qui nous ont précédés dans la foi, tels que : le Père Thomas Mouléro, le Cardinal Bernardin Gantin, Mgr Isidore de Souza, le Père Florent Nascimento, et beaucoup d’autres témoins dont l’exemple de vie et l’engagement missionnaire ont été le lieu d’un réel signe d’espérance pour l’Église. Si ces aînés ont réussi à semer partout l’espérance, c’est en raison de leur vie continuellement bâtie sur le Christ, leur unique Espérance.
Chers fidèles du Christ, vous qui participez à cette eucharistie aux côtés de vos prêtres, je voudrais vous inviter instamment à encourager vos pasteurs à ne pas perdre de vue l’image et la dignité qui les caractérisent. La meilleure manière de les encourager est de prier constamment pour eux et de les soutenir de mille manières afin qu’ils réalisent fidèlement leur mission de pasteurs auprès de vous. Je vous demande de bien vouloir prier pour moi aussi, afin que je continue de me faire au milieu de vous tout à tous, dans l’Amour et la Vérité.
Que par l’intercession Marie, Notre-Dame de Miséricorde, le Seigneur nous accorde la grâce de prendre une plus vive conscience de notre état de prêtres, appelés à être dociles à l’Esprit, porteurs de la Bonne Nouvelle et signes d’espérance pour nos sociétés. Puisse le Seigneur nous aider à accomplir jusqu’au bout cette mission, Lui qui vit et règne maintenant et pour les siècles des siècles, Amen.
[1] Saint Jean-Marie Vianney, l’humble curé d’Ars, in https://www.oeuvredesvocations.fr, consulté le 14 avril 2025.
[2] Guy-Marie Bagnard, Le Curé d’Ars, portrait d’un pasteur, Perpignan, éd. Artège, 2009, p. 27.
[3] Maurice ZUNDEL, Silence, Parole de vie, Québec, Anne Sigier, 1990, p. 57.
[4] Cf. Pape François, Evangelii gaudium, n° 85.
[5] Cf. Paul VI, Evangelii Nuntiandi, n° 80.
[6] R. Houngbédji, Dans l’espérance, sauvegardons la création ! Lettre Pastorale, octobre 2024, n° 7.