Homélie de la Cène 2025

Jeudi Saint 15 avril 2025

Messe in « Cena Domini » à Gbèdégbé

Chers frères et sœurs,

Vendredi dernier, au petit matin, tel un coup de tonnerre dans un ciel serein, la nouvelle de la disparition de votre curé, le Révérend Père Noël Victor SOGNI, nous a tous déconcertés. Informé dès les premiers instants, j’ai dépêché sur les lieux quelques uns de mes collaborateurs, avant de venir moi-même le lendemain pour saluer le vicaire. Mais il fallait que je rencontre aussi toute la communauté durement éprouvée par ce départ totalement inattendu. Et me voici parmi vous ce soir, chers fils et filles de la Paroisse Saint Louis, pour vous saluer, vous réconforter et vous confirmer dans la foi et l’espérance en ces moments difficiles. Je vous présente mes condoléances. Il m’a aussi été dit que vous souhaitiez me présenter vos condoléances. Je les accueille avec gratitude.

Je n’ignore pas que vous avez déjà connu la douloureuse expérience du décès d’un curé en plein exercice de son mandat. Toutefois, je vous en prie, que personne ne cède à des commentaires malveillants ni au doute. Au contraire, rappelez-vous qu’un prêtre est un soldat du Christ. Et pour un soldat, tomber sur le champ de bataille est un honneur. Alors pour vous, fidèles de cette paroisse, c’est le moment plus que jamais de mettre en pratique tout ce que votre curé vous aura enseigné quand il était encore au milieu de vous. En attendant que je vous communique les dispositions pour la continuation de la mission, je demande à tous de rester en communion avec le vicaire paroissial, à qui, selon les dispositions du droit canonique, incombe la responsabilité d’administrer la paroisse jusqu’à ce que de nouvelles dispositions soient données. Mon vicaire général chargé des paroisses et le vicaire forain sont instruits pour l’accompagner.

M’adressant donc à toi, Père Hervé, je te redis ma proximité et ma compassion. Merci pour le beau témoignage de fraternité sacerdotale que vous avez donné ici, le Père SOGNI et toi. Merci pour ton courage et ton témoignage de foi au cœur de l’épreuve. Que le Seigneur te réconforte et t’assiste toujours. Et à vous tous, que Dieu donne en plénitude la foi en la résurrection de son Fils Jésus, Lui que l’Église Universelle célèbre aujourd’hui comme Grand Prêtre éternel, dans le sacrement de la Rédemption : l’Eucharistie qu’il nous a donnée.

C’est bien ce que nous commémorons en ce Jeudi Saint : l’institution de l’Eucharistie et du sacrement de l’ordre, deux sacrements indissociables. Le lien intrinsèque entre ces deux sacrements est souligné par le fait que, tous les sacrements et sacramentaux peuvent être donnés hors d’une messe. Mais jamais le sacrement de l’ordre n’est conféré en dehors d’une messe, tout comme la messe ne peut jamais être célébrée en l’absence du prêtre validement ordonné. Que nous disent alors les textes liturgiques d’aujourd’hui sur ces deux sacrements ?

La première lecture tirée du livre de l’Exode nous rapporte les instructions du Seigneur pour le repas rituel qui allait marquer la sortie d’Egypte. Les caractéristiques de ce repas évoquent déjà fortement la dernière Cène de Jésus avec ses Apôtres. D’abord il s’agit d’un repas du soir, comme dans le cas de la dernière Cène. Ensuite, il y a le symbole du sang : dans la première lecture, le sang protège les maisons des croyants. Dans le récit de la Cène, le Sang de Jésus scelle la nouvelle Alliance. Enfin, dans les deux cas, le repas est institué comme mémorial : « Faites cela en mémoire de moi. » Il faut souligner que la mémoire dont il s’agit ici ne signifie pas le souvenir d’une personne qui n’est plus, comme on ferait mémoire d’un défunt. « Faire mémoire », dans le cadre du mystère de l’Eucharistie, signifie que par la puissance de l’Esprit Saint, le sacrifice du Christ est rendu présent pour nous de façon sacramentelle.

En utilisant donc autant d’éléments de la Pâque Juive pour instituer l’Eucharistie, Jésus donne au sacrement de son Corps et de son Sang une valeur rédemptrice qui dépasse celle du repas pascal juif.  Toutefois, il y a une différence de taille qui n’échappe à personne. Dans la première lecture, il y a l’agneau pascal qui constitue l’élément essentiel du rituel. En revanche, dans la dernière Cène de Jésus, aucun agneau n’est mentionné. Et la raison est évidente : en réalité, c’est Lui Jésus, l’agneau véritable et parfait. Contrairement à l’agneau pascal juif immolé par la volonté du sacrificateur, c’est Jésus lui-même qui librement, se donne en sacrifice pour le salut du monde, agneau sans défaut, immolé pour le salut du monde entier.

C’est dire qu’en instituant l’Eucharistie, Jésus est à la fois le prêtre qui offre le sacrifice, l’agneau qui s’offre lui-même au Père, et en même temps l’Autel du sacrifice.[1] Pour présenter cette fonction sacerdotale du Christ, contrairement aux autres évangélistes, Jean ne rapporte pas le récit de l’institution, mais plutôt le lavement des pieds. Et pourtant, ce texte nous offre l’une des plus belles méditations sur le sacerdoce et sur l’Eucharistie.

En effet, Jésus est présenté comme celui qui « aima les siens jusqu’au bout », jusqu’à l’extrême.  Le Père a tout remis entre ses mains, il est sorti de Dieu et il s’en va vers Dieu. Pourtant, il se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin, et se met à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture. Celui qui est sorti de Dieu est le même qui lave les pieds à des hommes. « Il s’agenouille devant nous et nous rend le service de l’esclave; il lave nos pieds sales, afin que nous devenions admissibles à la table de Dieu, afin que nous devenions dignes de prendre place à sa table. »[2] Et c’est là tout le sens du sacerdoce et de l’Eucharistie : faire le pont entre l’homme et Dieu.

Donc, même si nous n’avons pas ici les gestes de la fraction du pain et du partage de la coupe, cet évangile nous démontre en quoi consistent les deux sacrements institués pas Jésus au soir du Jeudi Saint. Le sacerdoce, c’est Dieu qui, par amour, s’abaisse vers l’homme, pour le purifier et le rendre digne de prendre place à sa table. Et l’Eucharistie, c’est le sacrement de l’amour de Dieu jusqu’à l’extrême. Ne regardons donc pas l’Eucharistie comme un beau geste posé par Jésus avant sa Passion et gardé comme souvenir par l’Eglise. Au contraire, c’est le sacrement qui renferme tout le sens de ce que Jésus a vécu et enseigné. A ce titre, l’Eucharistie est un véritable programme de vie pour le chrétien. Alors que pouvons-nous retenir pour notre vie chrétienne ?

La première chose, c’est qu’en célébrant l’institution de l’Eucharistie, nous nous engageons à vivre la foi authentique. Jésus n’est-il pas l’agneau véritable dont le sang lave et purifie le monde ? Comment donc certains chrétiens peuvent-ils communier au Corps et au Sang de l’Agneau véritable, et continuer encore d’offrir des sacrifices en secret à des divinités ? Alors je vous en supplie : ici à Gbédégbé, qu’on n’entende pas parler de syncrétisme, de chrétiens qui recourent à des forces occultes, à la divination, comme si le Sang versé du Christ n’était pas suffisant pour sauver. Quel autre sang pourrait être plus précieux et plus puissant que celui du Fils de Dieu ? Cultivons donc un amour plus grand et une dévotion plus constante pour l’Eucharistie.

La deuxième exhortation que je désire vous adresser concerne la charité. Jésus a aimé les siens jusqu’à l’extrême. Et après leur avoir lavé les pieds, il leur dit : « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. » Par conséquent, l’Eucharistie exige qu’on s’abstienne de la haine, des rancunes, des malveillances, du goût des grandeurs, et des attitudes qui tendent à écraser les autres. Que dans vos CEB, dans vos groupes et associations, règnent la charité, l’entraide, l’esprit de service comme Jésus l’a commandé.

Il nous faut grandir et mûrir davantage dans la foi et dans la spiritualité eucharistique, afin de comprendre que l’Eglise n’est pas fondée sur ce pouvoir mondain dont les disciples discutaient sur la route de Jérusalem, en se querellant pour la première place. Non à l’amour du pouvoir ! Mais plutôt, que le pouvoir de l’amour soit toujours le plus fort et règne parmi vous !

Enfin, ce jour est aussi l’anniversaire de vos prêtres. J’ai été heureux d’apprendre comment vous avez montré votre attachement à votre curé disparu par une chaîne spontanée de prières, dès les premiers instants et jusqu’à présent. Je vous en remercie et vous en félicite. Que le Précieux Sang de Jésus-Christ lave et purifie entièrement le Père Victor pour qu’il accède auprès du Père. Comme Jésus a déclaré purs ses apôtres, que dans sa miséricorde il introduise votre regretté curé dans les demeures éternelles. Continuez à prier pour lui. Je vous encourage aussi à toujours prier pour tous vos prêtres, ceux d’ici et ceux du monde entier, afin que le Seigneur les sanctifie davantage et les rende toujours plus capables de le porter au monde. Une belle prière que vous connaissez l’exprime bien en ces mots :

« Ô mon Dieu, je brûle du désir de la sanctification de vos Prêtres. Je voudrais que toutes ces mains consacrées qui vous touchent, fussent des mains amies dont le contact vous soit doux, et que ces bouches, qui prononcent à l’autel des paroles si sublimes, en gardent le souvenir dans toutes leurs rencontres. Que chacun les trouve simples et grands comme l’hostie, accessibles à tous, et tout donnés aux autres »

Priez donc pour tous vos prêtres, afin que cette grâce de la sanctification les habite tous et pour toujours !

Qu’à la prière de Marie notre Mère et de Saint Louis votre Patron, le Seigneur nous donne à tous un plus grand amour pour le sacrement de son Corps et de son Sang afin que nous puissions en témoigner par toute notre vie. Qu’il nous en accorde la grâce, Lui qui vit et règne, maintenant et pour les siècles des siècles. Amen.

[1] Comme le dit la 5ème préface du Carême.

[2] Benoît XVI, Homélie du Jeudi Saint 2006.